Quand on pénètre pour la première fois à la Villa Cavrois, c’est le rire des sept enfants de Lucie et de Paul Cavrois et de Jean Cavrois (premier mari de Lucie) qui nous sautent à la figure. On croit encore sentir leurs pas, on imagine les joyeuses échappées des jumelles (Annette et Brigitte) dans le jardin, les courses poursuites dans les vastes pièces baignées de lumière de ce château de briques jaunes, seule et unique construction de l’architecte Mallet-Stevens à utiliser une telle enveloppe.
Puis vient l’heure du goûter car les pendules, signe d’une modernité qui mesure le temps et la durée des gestes, ces pendules, spécialement fabriquées pour la villa Cavrois, sont alimentées électriquement et intégrés dans les murs ! La plus emblématique est celle de la salle à manger des enfants, une belle horloge à chiffres romains dont le mécanisme est intégré dans le mur.
On entend bien les rires dans la salle à manger des enfants avec ce décor en zingana clair verni et ses larges veines qui lui confèrent un caractère si vivant. Brigitte n’a pas faim et rêve devant le haut-relief en bois peint à l’huile qui reprend à l’identique les motifs des frères Martel, différents jeux d’enfants tels que fléchettes, quilles, tourne-disque, boules et maillets de croquet, gants de boxe (réinterprété par l’artiste Jean-Sylvain Bieth).
Mais il fait si beau dehors alors au diable le goûter ! on se faufile vite à l’extérieur par un petit escalier en colimaçon à l’appareillage de briques unique qui permet d’éviter la salle à manger des parents et d’accéder au Parc enfin !
Mais déjà les jumelles ont choisi elles de filer par le grand escalier construit dans le belvédère, véritable damier de marbre noir et blanc et doté d’une rampe linéaire en marbre noir, et elles peuvent par la baie vitrée verticale admirer le paysage et la composition géométrique du Parc. Comme de vrais princesses !
Mais la petite pleure, alors la gouvernante la conduit vers l’ascenseur, encore une autre innovation de ce manifeste architectural édifiée pour Paul Cavrois, cet industriel du textile du Nord qui possédait cinq usines et employait près de 700 employés.
Les garçons ont filé vers la mezzanine (surplombant le hall-salon) et ils s’amusent à lancer des avions en papier, et ce soir ils écouteront peut-être discrètement les conversations du Salon !
Quant à Emile il est déjà parti à la piscine, cet extraordinaire bassin de 27 mètres avec ses deux plongeoirs très graphiques. Car la devise de cet emblématique château moderne commandé en 1929 était clair : « air, lumière, travail, sports, hygiène, confort et économie ».
Bien sûr, au cours de la visite, on oublie les enfants et on s’extasie devant la salle de bain des parents, la plus spectaculaire de la villa par sa taille (60 mètres carrés !!), avec son équipement sophistiqué : un sol revêtu de marbre blanc de Carrare, un pèse-personne cerclé de cuivre chromé intégré dans la paroi, de petits détails si contemporains à nos yeux.
On sort de la visite ébloui par tant de modernité, par tant d’audace ! c’est bien une petite « folie » totalement maitrisée !
La Villa Cavrois, cela n’a rien d’une aimable villégiature campagnarde construite par tant de familles industrielles du Nord possédant ces belles usines de tissage, filature, teinture de coton et de laine. Elle est bien une œuvre singulière, emblématique de l’architecte Robert Mallet-Stevens, figure du courant moderniste.
Mon coup de cœur : la terrasse-pergola
La terrasse-pergola, qui pouvait servir de salle à manger à l’occasion avec le monte-plats électrique… les mets y étaient acheminés directement depuis la cuisine autour des piliers de béton. J’imagine alors Geneviève Cavrois avec Pierre Six lors de son mariage en 1932, s’y penchait doucement en admirant l’agglomération roubaisienne et la campagne environnante ! La belle vie quoi !
Ne pas oublier lors de la visite le documentaire passionnant ! (à retrouver sur le site également)
Ce documentaire de 26 minutes nous aide à mieux comprendre la restauration de la villa Cavrois et les métiers au cœur de ce chantier exemplaire ! Ce documentaire passionnant vous plonge au cœur des métiers du patrimoine mobilisés pour le chantier de restauration de cette oeuvre d’art totale, manifeste moderniste de Robert Mallet-Stevens édifiée dans les années 1930.
Classé monument historique en 1990 grâce à la mobilisation citoyenne, acquis par l’État en 2001, le gigantesque chantier de restauration mis en oeuvre en 2003 par la DRAC Nord-Pas-de Calais puis repris en 2008 par le Centre des monuments nationaux a été achevé en juin 2015.
L’ensemble de ces travaux, menés sous la maîtrise d’œuvre de Michel Goutal, – architecte en chef des monuments historiques, est évalué à 23 M€.